Interview Hemley Boum

Partager

1 – Si vous devriez vous présenter à notre public comment le feriez-vous?

Hemley Boum, romancière camerounaise, est-ce que cela vous suffit ?

2 – Si vous devriez résumer votre roman « Les maquisards » autrement que ce qui figure sur sa quatrième de couverture qu’en diriez-vous?

« Les Maquisards » abordent la question de la lutte des camerounais pour l’obtention d’une indépendance, réelle, totale et définitive. Le livre adopte cette question du point de vue des anonymes, Le long combats des hommes et des femmes qui se sont engagés dans cette lutte sans merci avec courage et détermination. Je revisite les us et coutumes de ces populations, leur spiritualité et leur organisation sociale. Une occasion de donner vie et voix à ceux qui méritent leur juste place dans nos mémoires.

3 – Pourquoi avoir situé la trame de l’histoire en pays bassa uniquement? Vous allez faire des jaloux.

Je voulais étudier mes personnages dans toute leur complexité humaine, spirituelle, sociologique : pour cela, il me fallait les ancrer dans une culture. J’ai choisi une unité de lieu, la forêt bassa, afin d’y installer mes personnages. Le pays bassa devient dès lors une métaphore de tous les villages, tous les peuples, tout le pays. D’ailleurs c’est ainsi que le livre a été perçu et je m’en réjouis. Des lecteurs bamilékés, douala, béti…et même hors du pays m’ont dit leur émotion à la lecture des Maquisards.

4 – Peut-on dire que c’est une oeuvre engagée? Je veux dire, y a-t-il une revendication politique, idéologique, sociétale ou historique en toile de fonds?

Mon unique engagement en tant que romancière est de m’exprimer sans tabou, en toute liberté. Je sais que les mots, la parole publique engage celui ou celle qui la porte. Mes idées et mes partis pris sont très clairement exprimés dans mon travail. En cela oui, je suis engagée. Ce livre aborde plusieurs questions difficiles : Le silence terrible, la nécessaire question du devoir de mémoire, l’usage que nous choisirons de faire de ce passé à la fois terrible et glorieux.

5 – Malgré la forte présence de Ruben Um Nyobé dans ce roman, les femmes parviennent à y trouver une place. Je dirais même qu’elles occupent la place principale, ce qui est inédit dans les textes que nous avons sur le sujet de la lutte pour les indépendances. Souhaitiez-vous  réparer une inégalité? 

Je souhaite rétablir le fait que cette guerre n’aurait pas pu se faire sans le concours des femmes. Les sociétés traditionnelles, notamment la société bassa était organisée ainsi. Les femmes avaient une sphère de pouvoir qui n’appartenait qu’à elle. Le Ko’o que je décris dans « Les Maquisards » est un ordre de prêtresses, la part féminine du Mbog. Un combat de cette ampleur n’aurait pas pu se mettre en place sans que les femmes s’engagent aux côtés des hommes comme elles le faisaient au quotidien dans les sociétés qui étaient les leurs. Lorsque Mpodol sera tué, il y aura des femmes avec lui. Elles faisaient partie de son cercle restreint. Elles ont risqué leur vie au même titre que les hommes. Ils s’agissaient de leur redonner leur juste place auprès de leurs compagnons de combat. Pour l’Histoire, mais aussi pour l’exemple. Pour nous camerounais d’aujourd’hui, il est important de comprendre que nos pères ET nos mères ont répondu présents à ce rendez-vous historique.

6 – On remarque que vous êtes restée fidèle à l’écriture en éventail, ça ne vous quitte plus!

J’écris la littérature que j’aime, une littérature de l’intime, qui va au plus près des êtres pour dire les désordres humains, les petites victoires du quotidien et aussi ce que Dickens appelle « Les grandes espérances ». Les petites histoires sans intérêt d’amour, d’amitié, de jalousie, de trahison et de loyauté, nos parcours ordinaires sont la chair qui constitue la grande Histoire. Il n’est pas juste que cela disparaisse derrière les dates importantes, les combats gagnés ou perdus, les noms des rues qui n’évoquent que les héros. Ici, dans « Les Maquisards », nous sommes aux prises avec des personnages que nous connaissons intimement, que nous détestons ou auxquels nous nous identifions, mais aucun d’eux ne nous est étranger. C’est la littérature que l’aime, une sorte de dialogue d’âme à âme où même les pires personnages ont une humanité.

7 – Parlons maintenant de l’événement lire à Douala. Pourquoi avoir accepté d’en être la marraine? Je suppose que vous êtes très sollicitée…

Lorsque l’association « Lire à Douala » en la personne de Christian Wanguè m’a proposé d’être la marraine de cet événement, j’ai tout de suite sauté sur l’occasion tant j’aime cette ville. Je suis tombée éperdument amoureuse de la littérature à Douala et cette affection ne m’a jamais quittée. Douala m’a permis de développer un certain regard sur le monde : un quant-à-soi, une ossature, un ancrage qui fait que je me sens partout chez moi puisque que je viens de quelque part. Je ne serai jamais une exilée puisque je suis une voyageuse : quelqu’un qui part de son plein gré et reviens quand bon lui semble. Cette liberté, je la dois à cette ville. Y revenir dans le cadre de « Lire à Douala » était d’une grande évidence.

8 – Que pourriez-vous dire aux jeunes africains en général et aux jeunes camerounais en particulier pour les encourager à lire?

La lecture est affaire de sensibilité, de curiosité, d’ouverture au monde. Je ne dirai jamais que lire rend meilleur : soyons franc, les érudits et les intellectuels ont tendance à être arrogants, condescendants vis à vis de ceux qui en savent moins. Malgré tout, l’amour de la lecture est une grâce, un voyage immobile. Les livres m’ont appris, ému aux larmes, fait rire aux éclats, toute seule, dans une salle bondée, un train que sais-je. Seule ? Non, en compagnie de personnages qui ne s’adressaient qu’à moi, qu’un autre avait conçus, travaillés pour qu’ils s’adressent à moi seule. Les livres m’ont renseignée sur moi-même et appris à faire confiance à mon intelligence pour appréhender le monde. Lire est essentiel, aussi essentiel que l’air que nous respirons.. Boko Haram signifie, « Livre interdit », aujourd’hui plus qu’avant, confronté, agressé que nous sommes par cet obscurantisme meurtrier, lire devient en soi un acte de résistance.

9 – Comme vous le savez certainement, se procurer un livre comme le vôtre reste une gageure pour les jeunes africains vivant sur place. Que pourrait-on faire pour améliorer cette situation? 

C’est une vraie tragédie que le livre coûte si cher, qu’il y ait si peu de bibliothèques. Je n’ai pas de solutions toutes faites. Pour mes livres à moi, je négocie toujours avec l’éditeur pour que le prix au Cameroun soit beaucoup moins cher qu’ailleurs, mais ce n’est pas une solution viable. L’idéal, serait d’avoir un éditeur sur place qui ressorte les livres à moindre coût pour le marché local. Je suis très intéressée par ce type de solution.

10 – Madame Hemley Boum, êtes-vous un écrivain noir engagé? Je vous le demande parce qu’une grande partie des écrivains noirs contemporains refutent cette étiquette.

L’engagement n’a pas bonne presse aujourd’hui n’est-ce pas ? Chacun craint derrière les beaux discours, la manipulation, la récupération idéologique jamais loin. Je ne crains pas de dire mon engagement à ma littérature, aux textes que j’écris, aux idées que je défends. Je suis une romancière et c’est cela mon engagement.

11 – Un petit mot d’encouragement pour notre association naissante, la CENE littéraire?

Bravo mille fois à votre association. Vous participez de cette résistance dont je parlais plus haut. Vous êtes les chevalières, les défenseures de notre liberté intellectuelle et morale. Vous êtes l’anti Boko Haram, l’antidote nécessaire.

Interview réalisée par Madame Lolita Biloa