Dialogue avec des sourds

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« Mongo Béti parle » dont le sous-titre est « testament d’un esprit rebelle » est un texte d’Ambroise Kom, né d’entretiens entre ce dernier et Mongo Béti en juillet 98 et juillet 99. L’ouvrage original est paru en 2002 au Bayreuth African Studies Series et a été réédité en 2006 aux éditions Homnisphères. Ce sont 295 pages de réflexions sans tabou – ce n’est pas le genre de la maison – de l’intellectuel hors normes qu’était Alexandre Biyidi sur des thèmes aussi variés que l’économie, la politique, la culture ou l’histoire de l’Afrique en  général et du Cameroun en particulier.

Dans ce livre, Mongo Béti met en exergue les maux dont souffrent nos sociétés. Mais il ne s’arrête pas là, il donne également des esquisses de solutions. Au sujet de la culture par exemple, il insiste sur la nécessité d’une révolution culturelle grâce à laquelle certaines traditions archaïques anti-modernistes et anti-économiques seraient abandonnées pour faire place à l’épanouissement de l’individu à la liberté et la dignité. Il ne faut pas rompre avec les traditions africaines dit-il, mais il ne faut non plus rester engoncés dans des postures archaïques freinant l’esprit d’entreprise, d’initiative et de liberté.

« Quand on regarde notre capitale parmi les gens qui ont fait des études (…) combien vivent selon les critères de l’intellectuel (…) par exemple en se conformant à une rigoureuse discipline dans leur travail, assiduité, ponctualité, et tout ça ? Très peu en réalité. La plupart se laissent récupérer très vite par la facilité de la vie africaine. J’appelle ça tirer le pays vers le bas (…) c’est à dire vers la perpétuation des modes de vie, des modes de pensée, et des mentalités traditionnelles, alors que la démocratie et la prospérité économique exigent, qu’au contraire nous soyons tirés vers le haut ».


Mongo Béti parle, pages 81-82

Mais encore :

« Sur place, on se rend compte de la faillite des élites camerounaises. La conscience du monde, la conscience de l’importance de ce qui se passe dans le monde n’est pas spontanée. Elle est créée et est entretenue par une classe de gens qui sont soucieux d’informer le pays et de lui transmettre cette conscience des choses. Or chez nous ça n’existe pas.»


Mongo Béti parle, page 164

Plus loin, Mongo Béti explique les raisons de la faillite des élites africaines en générale et de celles camerounaises en particulier.

La politique et les politiciens ne sont pas oubliés : les différents présidents qui se sont succédés à la tête du Cameroun, par exemple, sont « loués » pour leur incompétence et le rôle prépondérant de l’entreprise française d’exploitation, raffinage et de distribution pétrolière ElfAquitaine dans l’installation et la perpétuation du système néocolonialiste par la France en Afrique, est souligné. Faisant un pied de nez à tous ceux qui l’ont traité d’anti-français, Mongo Béti réaffirme que toutes les colonisations se valent et que les Anglais n’ont pas fait mieux que les Français. Enfin, pour se sortir de l’impasse dans laquelle se trouve l’Afrique actuellement, Mongo Béti prône la non-violence, en tout cas celle des peuples:

« Martin Luther King a mené un combat d’où la violence n’était pas exclue. C’est là le problème, la violence ne fût pas le fait de Martin Luther King, mais  Martin Luther King et ses troupes ont subi la violence du pouvoir blanc. (…) Je n’ai pas l’impression que nous puissions nous en tirer ici, même en préconisant un combat non violent, que nous puissions nous en tirer sans subir la violence des autres ».

Mais

«  J’ai l’impression que la non-violence n’a pas été suffisamment utilisée par les Camerounais. Je crois pourtant que c’est là notre seule chance de nous en sortir ».


Mongo Béti parle, pages 256-259

Mongo Béti expose dans la suite du texte, les stratagèmes à mettre en place pour faire usage de cette non-violence.

Comme relevé ci-dessus, problèmes économiques, diplomatiques etc. ne sont pas en reste dans ce livre. Leurs solutions aussi.

Mongo Béti nous parle donc dans ce livre. Mais l’écoutons-nous? J’en doute. Toutefois il n’est jamais trop tard. Sous cette plume d’Ambroise Kom, allons grandement ouvrir nos oreilles, en effet, s’il faut lire un Mongo Béti qui n’a pas été écrit par Mongo Béti, c’est incontestablement celui-ci.

Flore Agnès Nda Zoa